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Mercredi 23 février 1916 - Méharicourt Maucourt

Le bruit qui parcourt les rangs nous glace les sangs et sort de la torpeur nos esprits avachis: les boches auraient lancé une offensive d'une brutalité rare sur les secteurs de l'Est, près d'une ville qui s'appelle Verdun. Jamais entendu parlé, et nous ne savons que peu de choses, mais vu la nervosité que semble provoquer la nouvelle, je doute que les copains là-bas soient à la fête. On parle de pilonnage d'une rare intensité, d'assauts implacables et meurtriers. Si c'est effectivement le cas, je suis content d'être ici, dans nos petits secteurs plutôt tranquilles. Je dis "nos", car même si j'avais perdu le goût d'écrire dans notre ennui harassant, nous avons eu le temps de changer plusieurs fois de secteur durant ces derniers mois. Frise, que nous avons quitté à la mi-décembre pour rejoindre Villers-Bretonneux, et ses longues semaines de repos et autres gesticulations régimentaires. Puis, à la mi-janvier, nous avons posé nos bardas dans le secteur actuel.

Méharicourt-Maucourt : nous sommes transformés en fossoyeurs-bâtisseurs. Notre activité principale est donc de creuser et renforcer tranchées et boyaux, que l'artillerie boche s'ingénie à détruire presque immédiatement. Sûrement pour que nous n'ayons plus qu'à recommencer inlassablement le lendemain, puis le surlendemain, puis les jours suivants. Quelle application à ce que nous ne nous ennuyions pas ! Je creuse, tu effondres, il reconstruit, vous pilonnez, nous renforçons, ils bombardent ... Et le petit jeu reprend la semaine suivante. Navrante routine.

Nous ne répondons même plus aux tirs de fusils et de mitrailleuses. Vraisemblablement interloqués, les boches multiplient les patrouilles, comme pour voir ce qu'il se passe. Puis s'en retournent plus vite qu'ils ne sont venus, poursuivis par nos balles. Trop drôle ! Alors reprennent quelques échanges courtois d'artillerie. On dirait que notre secteur est devenu pour les artilleurs un parfait laboratoire d'expériences nouvelles. Tirs divers, directs et indirects, sur des cibles variées, comme à la foire. Avec application. Je les imagine, les artilleurs, la langue sortie entre les dents tellement ils s'appliquent pour réussir chaque tir. Et leur curiosité studieuse en attendant la riposte des boches. Un vrai concours de noyaux de cerises !

Jusqu'à avant hier. 5h du matin. Réveil brutal entre les avertisseurs d'attaque chimique et les sifflements produits par l'émission d'une nappe gazeuse. Immédiatement suivie par un bombardement d'obus lacrymogènes et suffocants. Puis une deuxième nappe gazeuse. Acre. Irrespirable. Même à travers les masques. Ça a duré comme ça jusqu'à 10h. Puis le calme. Mesurer les effets de l'attaque : partout, ça vomit, ça tousse, ça pleure, ça s'étouffe ... Je n'y ai pas échappé : larmoiements, maux de tête. Comme hébété. Atroce. La tête prise par cette odeur qui pique les narines et brûle les yeux. Qui prend la gorge. C'est la première fois que nous subissons une telle attaque, de cette ampleur. Nous avions déjà goûté aux gaz une fois, mais pas avec de telles conséquences. 350 gars touchés, hors d'état de se battre. Il a fallu les sortir de cet enfer, dans la boue et la neige. Les traîner au fond de tranchées où stagnaient les gaz plus lourds que l'air. Les sortir des abris inhabitables. Les bousculer pour qu'ils ne s'effondrent pas dans la neige pour s'y laisser crever.

Les boches n'ont pas renouvelé leur attaque. Aurions-nous été capables de résister ? Qui de ceux de Verdun ou nous sont les mieux lotis? Y a-t-il seulement une meilleure place ?

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