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Mercredi 08 décembre 1915 - Frise

Etonnant secteur que ce secteur de Frise. Il ne s'y déroule aucun combat d'infanterie. Peu d'action humaine. L'ennemi est invisible. Une guerre de taupes. Les tirs quotidiens et habituels d'artillerie pour nous inciter à nous enfoncer davantage chaque jour. Et une guerre souterraine de mines et camouflets, comme pour nous empêcher de nous enterrer trop profondément. Une guerre de sape. Sape des tranchées, et sape du moral. Le tout en bord de Somme, et sous une pluie qui n'en finit pas depuis plusieurs jours. De fait, les boyaux s'effondrent, et nous devons les reconstruire sans cesse, englués dans la vase et la boue, trempés jusqu'aux os à longueur de journées. Marre de ce temps, de cette guerre fastidieuse, de ces actions de faux-culs qui, à défaut de nous écraser, vont bien finir par nous noyer.

Heureusement, j'ai reçu aujourd'hui un courrier inattendu. Le journal Le Petit Havre, du 23 juin, où est reportée ma citation à l'ordre du régiment. Pas trop tôt de le recevoir maintenant, mais je suis étonné qu'il soit parvenu jusqu'à moi. Ça m'a fait plaisir. La censure a dû estimer que vu le temps écoulé depuis sa parution, il ne risquait pas de divulguer des nouvelles trop fraîches aux boches au cas où il serait tombé entre leurs mains. Et je suis content de pouvoir le lire, je n'avais pas eu l'occasion de m'en procurer un exemplaire lors de ma permission au Havre.

Bref, même si rien de ce qu'il contient n'est vraiment très neuf, je suis heureux d'avoir reçu ce lien avec ma ville. Ce ne sont pas les nouvelles des différents fronts qui sont intéressantes. J'ai tout de même eu plaisir à lire que les allemands, surpris par la tournure de la guerre, auraient renoncé à nous envahir et chercheraient juste à nous tenir en échec. Aurions-nous en réalité repris l'initiative depuis cet été ? En regard de ce que je vis en ce moment, ce n'est pas véritablement flagrant. Mais espérons ...

En réalité, ce sont plutôt les potins locaux qui m'amusent. Les chiens écrasés. Les petites bassesses humaines de la vie dite "normale". Cette femme, condamnée pour mauvais traitements sur ses trois enfants. Cette boulangerie, saccagée pour avoir refusé du pain à crédit à une femme de soldat. Ou encore ce voleur de 1170 francs au comité municipal des réfugiés, qui s'est enfui à Paris avec sa maîtresse. Comment ai-je pu imaginer qu'en ces circonstances exceptionnelles qu'est la guerre, un vent de vertu humaniste ai soufflé sur mes congénères ? Quel naïf ! Un père alcoolique qui tue sa fille de 20 ans, un escroc du nom de Rocquencourt, des marins qui tombent dans les eaux du port : je n'ai pu m'empêcher de sourire en constatant que la vraie vie continue, enfin si je puis dire. Voire même de rire franchement devant le récit de cet ouvrier mort par asphyxie dans une fosse d'aisance. Très moche de ma part, mais tellement drôle de constater qu'il n'y a pas que la guerre qui transporte son lot de morts terriblement merdiques. Un bon moment de lecture. Un vrai voyage-retour vers ma vie d'avant ... qui s'est évanoui à l'instant même où j'ai relevé la tête et regardé autour de moi.

Me restent les pages du journal. Elles termineront leur oeuvre. Aux feuillées.

Mercredi 08 décembre 1915 - Frise
Mercredi 08 décembre 1915 - Frise
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Mercredi 08 décembre 1915 - Frise
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