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Dimanche 25 juillet 1915 - Sibiville

Aujourd'hui, j'ai 23 ans ! Presque deux ans que je suis soldat, dont une année de guerre. J'ai l'impression d'avoir vieilli de dix ans. Rien n'est léger : je ne vis que fatigue, peur, doute, questionnements. Mon avenir est on ne peut plus incertain, mes rêves s'éloignent au fur et à mesure que les jours passent. Je m'éloigne de ma vie d'avant, celle sans surprises du jeune voilier des Docks Entrepôts du Havre. Je m'éloigne de mes proches, de mes camarades de boulot, de mes parents. Mon fils est lui aussi juxtaposé à ma vie. C'est pour qu'il ait une vie meilleure que je me bats. Pour qu'il n'ait pas à connaître ce marasme destructeur. Et en même temps, j'aime cette vie aventureuse. Je suis chez moi, ici. Sur mon terrain. dans mon élément. Je suis un guerrier efficace. Inentamable. Je n'ai pas été blessé. Je n'ai pas été malade, en dépit des conditions dantesques que nous avons traversées. Serais-je fait pour ça ? Je n'imagine pas qu'il puisse m'arriver quelque chose. Pas à moi.

Au début du mois, nous avons pris pied dans le secteur de La Targette. Un secteur bouleversé, théâtre de combats acharnés. La guerre de position semblait avoir repris ses droits. les velléités d'assaut semblaient s'être évanouies. Nous nous sommes donc transformés en sapeurs-bâtisseurs, dans une zone où tout était à créer : abris, boyaux de communication. Tout cela sous les bombardements incessants de l'ennemi, qui a saisi la moindre occasion pour nous arroser copieusement. Il faut dire que les Drachens, ces espèces de saucisses volantes, nous surplombent et le renseignent avantageusement. Ah, si j'avais les moyens de les descendre les uns après les autres ! Quel bonheur ce doit être de les voir s'effondrer en flamme !

Le 11 juillet, nous avons été relevés. Et quelle surprise en arrivant au cantonnement : les premières permissions allaient être accordées ! Incroyable ! Et effectivement, les premiers chanceux sont partis chez eux. 6 jours de relâche. J'attends moi aussi ce moment avec impatience. Et en même temps, je le redoute. Nos vies ont pris des routes si semblables, et à la fois si différentes. Que vais-je pouvoir leur dire de ce que je vis ici ? Et eux, qui vivent aussi des moments difficiles, que vont-ils pouvoir partager ? Je ne suis pas sûr de me sentir à ma place quand je les retrouverai. Ma place est ici, tant que cette guerre n'est pas finie. Et puis il faudra de nouveau les quitter. Cela risque de ne pas être un moment simple non plus ... Il me tarde de les rejoindre.

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