Jeudi 21 décembre 1916 - Avord

Je suis exténué, vidé. Le froid et les nuits sans dormir ont eu raison de moi. J'ai terminé hier le cycle de formation aux vols de nuit, et ma chambre est sûrement l'endroit que j'ai le moins vu depuis le début du mois. Passionnant le vol de nuit, mais éreintant. Passionnant parce que ça fait de moi un pilote complet, capable de voler de jour comme de nuit. Et voler de nuit est une autre dimension. Les repères disparaissent. L'appropriation du vol et du terrain sont différents. Les débuts ont été un peu compliqués. Le vol de nuit se prépare de jour. Connaître chaque repère du secteur. Maîtriser les caractéristiques de vol de l'avion pour savoir que voler tant de temps, dans telle direction, nous amènera au-dessus de tel village ou de telle ville. Puis reproduire ce vol en conditions nocturnes, pour ancrer les repères. Apprendre à reporter sur la carte les endroits survolés. Habituer les yeux au vol en basses conditions de visibilité. Apprendre à regarder la nuit pour ne pas voir danser le décor. Et réapprendre à se poser, quand l'appréciation des distances n'est plus la même, et qu'il faut se contraindre à arrondir plus tard pour ne pas être trop loin du sol. Ne pas risquer de casser l'avion en touchant trop durement le terrain. Mais quelle ambiance en vol de nuit ! La lune pour seul éclairage, la fantasmagorie des paysages. La campagne paisible et presque feutrée. La sensation d'être le seul à profiter de ces instants. Un privilégié. Mais n'est-ce pas ce que je suis depuis que j'ai rejoint l'aviation ? J'ai terminé la formation avec l'appréciation suivante : "bon pilote, s'est trouvé un peu désorienté pendant ses vols en double-commande de nuit, mais s'est très bien repris et a  terminé son apprentissage dans de bonnes conditions." Ce n'est pas trop mal. J'aime cette vie. J'aime cette chance qui m'est donnée. Et je veux devenir le plus offensif pour mettre fin à ces années de guerre inepte. Le troisième Noël de guerre se profile. Tout cela n'a que trop duré.