Dimanche 16 mai 1915 - Aix-Noulette

Impossible de dormir. Trop de pensées assaillent mon esprit. Et si tout s'arrêtait au petit matin ? Depuis hier samedi, nous sommes engagés dans les offensives. Enfin, presque. Acte manqué.

Hier samedi, vers 8h45, nous avons reçu l'ordre de nous rendre à Bouvigny, à un peu plus d'une vingtaine de kilomètres de Haute-Avesnes. Changement de subordination : nouvelle Division, nouveau secteur. Vers 10h, nous voilà donc partis pour 5h de marche, en compagnie du 24e d'infanterie, qui ne nous quitte décidément plus.

Nous avons fait halte à l'ouest de Boyeffles vers 15h. C'est là que nous avons compris ce qui nous attendait. Distribution des compléments de cartouches à 250 chacun : dotation de bataille. Le reste est alors allé très vite. Ordre de déploiement des unités au sud-est d'Aix-Noulette pour attaquer les positions allemandes. Répartition des secteurs : un bataillon du régiment au sud de la route de Noulette à Souchez. L'objectif est le bois carré situé au nord de la route d'Arras, à environ 1500m de Souchez. L'heure de l'offensive est fixée à 17h.

... Sauf qu'à l'heure prévue, personne n'était prêt ! Les troupes n'étaient pas en place : les tranchées et boyaux étaient tellement encombrés que toute circulation y était impossible.

A 18h15, l'ordre est donc arrivé de suspendre l'attaque, chacun devant rester sur place. Bien évidemment, les boches, eux, ne nous ont pas regardé sans rien faire. Et à cause du manque d'abris, du mauvais état et de l'insuffisance des boyaux et des tranchées, c'est sans avoir réussi à tirer un seul coup de fusil que le bataillon engagé a eu 14 tués, dont 2 officiers, et 69 blessés, sous les bombardements allemands. Beau gâchis, et bel exemple de coordination !

Dans son ordre d'attaque, le Général recommandait pourtant de "mener l'action avec la dernière vigueur et de marcher coûte que coûte. (...) Toutes les troupes devront saisir les occasions propices pour foncer sur l'ennemi et le chasser de sa position." Nous voilà bien partis ! C'est pas à ce train là que nous allons le bouter hors de France ! Déjà que nous n'arrivons pas à sortir des nôtres, de positions !

Vers 20h30, avec l'Etat-Major, nous avons rejoint Aix-Noulette, où nous cantonnons. L'offensive est reportée à un autre moment. Sans autre précision. Tout à l'heure ? Je suis nerveux. L'envie d'en découdre. Et l'angoisse de cet instant qui décidera soudain si je verrai le jour suivant ou non. Il y a longtemps que nous n'avons pas mené d'attaque de cette envergure. Les réflexes reviennent, mais les questionnements reviennent avec eux. Serai-je encore dans quelques heures ?

"Bois carré" - objectif du 15 mai